Le rêve aussi a son histoire

By: Salome Beresse

Le rêve, facette extraordinaire et majeure de l’existence humaine. En moyenne, nous rêvons une centaine de minutes par nuit, c’est-à-dire approximativement 2, 912, 000 minutes dans une vie. Un véritable pilier donc pour le développement de l’homme, qui y trouve une fascination continuelle. Châtié, puis réduit à source de divertissement, qualifié d’inconscient, source de liberté et de rébellion artistique et enfin sujet à une approche scientifique propre au XXIe siècle, notre perception du rêve n’a fait qu’évoluer. Vous l’aurez compris, nous allons discuter imaginaire, traditions et enfer.

En Afrique, le rêve est considéré comme prémonitoire par certaines cultures, et pendant longtemps des sacrifices étaient offerts aux dieux, afin que les bons se réalisent et les mauvais soient évités. Les tribus amérindiennes, quant à elles, perçoivent les rêves comme de vrais guides d’identité et de collectivité : l’adolescent doit s’appuyer sur ses rêves pour se construire. Rites et épreuves initiatives s’en suivront, et l’adolescent deviendra homme/femme.

Durant l’Antiquité, que ce soit en Egypte, en Grèce ou à Rome, les temples d’incubations étaient au comble de leur popularité. La populas s’y rendait pour coucher et recevoir les conseils d’un dieu guérisseur. Un oracle analysait par la suite les rêves et y trouvait des remèdes pour lutter contre diverses maladies. Cette coutume n’est pas méconnue pour la plupart des cultures : au Japon, trois temples étaient réputés pour des rêves d’incubations. Les dormeurs y attendaient l’apparition de Yakushi Nyorai, l’incarnation du soleil levant et de la vie.

La popularité de l’étude des rêves s’étendait donc sur bien des Empires, mais (comme souvent) l’Eglise catholique vint imposer sa vision. Celle-ci interdisant déjà la lecture libre de la Bible, elle décida de priver les gens de leurs droits, de l’échappatoire qu’est le rêve. En effet, les rêves seraient diaboliques et donneraient une conviction intérieure au rêveur – à éviter pour un peuple voulu obéissant. L’Eglise interdit alors l’interprétation des rêves, et, en 1252, alla jusqu’à torturer et brûler les passionnés, qualifiés de sorciers, sous l’autorisation du Pape. Entre le Moyen-Age et le XXe siècle cette vision sera maîtresse des croyances : “Le sommeil et le rêve, la vie concrète, l’amour et la sexualité éloignent l’homme du bien, de Dieu et le livrent au mal, au démon.”

Surprenant, puisque le rêve joue un rôle fondamental dans le Nouveau Testament. Joseph est guidé par Dieu dans ses rêves : c’est ainsi qu’il épouse Marie et élève Jésus. Les Trois Rois Mages fuient la Palestine après une bonne nuit de somnia a deo missa (rêves envoyés par Dieu).

Enfin, au XIXe siècle, le pouvoir de l’Eglise s’affaiblit et provoqua un fort occultisme. En Allemagne, E. Colsenet rédigea une thèse psychologique, affichant l’idée d’un inconscient. “Au-dessous de la surface lumineuse qui s’offre à l’observation intérieure s’étend une région obscure et inaperçue, peuplée de phénomènes psychologiques dont nous ne saisissons que les derniers effets diversement combinés et modifiés… Chaque fait conscient plonge ses racines dans l’inconscient”.

Le XXe siècle fut une période d’avancées médicales, comme l’utilisation de la pénicilline ou la création du vaccin BCG, luttant contre la tuberculose ou la coqueluche. La médecine générale, néanmoins, ne s’intéressa pas particulièrement à la science du rêve. Le cerveau se repose, et le rêve ne serait qu’une phase précédant la conscience claire. A-t-il une certaine utilité ? Non. Pas pour le moment.

C’est Sigmund Freud, notre fondateur de la psychanalyse chéri, qui décida de prendre les devants et étudier en profondeur le sujet. En 1900, il publia son “Interprétation des rêves”. Lorsqu’on aborde Freud, tout est question de refoulement de pulsions et de sexualité, et sa théorie du rêve n’échappe pas à ces deux critères. L’inconscient est donc le réservoir obscur de pulsions sexuelles (involontaires je vous rassure) refoulées dans l’enfance. Il en compte trois singulières : 1) pulsions d’inceste : le complexe d’Œdipe, l’enfant voudrait s’unir avec le parent du sexe opposé 2) pulsions de meurtre : tuer son rival qu’est l’autre parent, et enfin ma préférée 3) des pulsions cannibales : manger son père pour hériter de sa force. En ignorant ces pulsions quand on est conscient, le cerveau n’a d’autres choix que de nous les communiquer subtilement lors de nos rêves. Grâce à Freud, le rêve n’est plus le résultat d’une présence divine, mais un phénomène psychique.

Enfin, c’est au début des années 60 que la technologie permit d’enrichir nos connaissances actuelles et d’observer le travail du système nerveux central. On attribua à la phase profonde de sommeil le terme “sommeil paradoxal”, qui contient entre quatre et cinq rêves dont la durée augmente progressivement. La science expérimentale succéda les croyances, et en 1992 le Code Pénal dépénalisa les sciences occultes, l’astrologie et l’interprétation des rêves en France.

Tout de même, des légendes entourent toujours cette partie de notre inconscient : une affirme qu’une jeune fille hésitant sur la main à épouser, doit passer la nuit sur un miroir, qui la fera rêver d’un de ses courtisans. Ce dernier sera le juste choix. Des mathématiciens dont Albert Einstein et Henri Poincaré présentent le rêve comme une activité inconsciente féconde d’idée. Ce dernier trouverait d’ailleurs la réponse à la majorité de ses problèmes en rêve.

En plus des mathématiciens, les artistes ont toujours tiré leur inspiration de la chimère des fantasmes. Aux 15e et 16e siècles, les artistes peignaient rêves mystiques : Albrecht Dürer sera le premier à peindre son propre rêve à l’aquarelle. Le Romantisme quant à lui, encourage les artistes à capter ce deuxième monde insolite, “Zweite Welt”, prenant racine dans l’âme. Johann Heinrich Füssli peint lui son côté sombre, en réalisant “Le cauchemar”, mettant en scène une femme endormie et tourmentée sous le regard noir de créatures affreuses. Le Prince du rêve va gribouiller monstres et paysages pétrifiants. Le Surréalisme néanmoins est la plus célèbre des voies artistiques à s’être penchée sur le rêve. On compte dans les plus célèbres Salvador Dali, René Magritte, Giorgio de Chirico, et bien d’autres encore (si cela vous intéresse, lisez l’article en page x)

Ainsi, le rêve nous aura fait voyager et nous réserve encore bien des mystères. Il aura été divin, démoniaque, inconscient et créateur, mais par-dessus tout une source d’inspiration, absorbant, mélangeant, reconstruisant informations du quotidien. Au final, le point chaud postérieur (1) est le plus grand des artistes.

(1) zone située dans la moitié arrière du cerveau et noyau de la construction des rêves