L’apprentissage d’une langue : outil d’inclusion sociale ou symbole de résignation

By: Sylvie Lysa

L’acquisition de compétences linguistiques est bénéfique pour l’amélioration de nos capacités cognitives, notre compréhension du monde et reflèterait même l’adaptation de notre cerveau à notre environnement. Mais lorsque l’apprentissage est imposé par des circonstances au lieu d’être voulu, rendu presque obligatoire à cause d’une migration forcée, les efforts à fournir pour assimiler ces compétences paraissent surréalistes pour ceux qui doivent les acquérir.

Même si la Pologne reste le premier pays de l’Union Européenne à accueillir le plus grand nombre de réfugiés Ukrainiens, nombreux sont ceux qui se déplacent en Belgique pour des raisons familiales, professionnelles ou pratiques. Ainsi assiste-t-on à l’émergence d’associations luttant pour l’intégration sociale en proposant notamment des cours de Français pour les arrivantes (la majorité étant des femmes), et un soutien scolaire en Français pour les nouveaux élèves. Ce soutien s’avère primordial en termes d’inclusion scolaire et sociale. Il permet d’une part le renforcement linguistique, et d’autre part un sentiment d’appartenance à une communauté. En outre, les activités de ces associations ne se limitent pas uniquement à des cours de soutien et prennent une dimension conviviale en organisant de sorties socio-culturelles ou sportives, comme dans des musées ou des stages favorisant l’esprit collectif. Les liens et les nouvelles relations qui s’y tissent sont indéniables et mènent même à conclure de la nécessité de ces animations. Pourtant, un problème persiste toujours : celui de la langue.

Haruki Murakami, célèbre auteur japonais écrit “Apprendre une langue est un peu comme devenir quelqu’un d’autre”. Devenir quelqu’un d’autre, c’est changer d’identité. Mais ce changement n’implique-t-il pas aussi une rupture partielle avec ses origines, ou du moins, n’en donne-t-il pas l’impression ? Nazar, un jeune garçon fréquentant l’association explique par exemple son sentiment de lâcheté vis-à-vis son peuple, croyant que s’intégrer à une nouvelle culture serait comme accepter la guerre et peut-être même la défaite.

A l’écoute de cette opinion, elle semble presque absurde. Pourtant elle n’est pas rare et se défend : Pourquoi s’obstiner à apprendre une nouvelle langue alors que le retour chez soi parait toujours plus proche et certain ? En été déjà, beaucoup pensaient revenir avant Noël. Alors que l’espoir de rentrer en Ukraine nourrit chez certains une motivation visible, elle constitue pour d’autres un vrai barrage à l’envie de progresser.

Nombreux élèves se retrouvent noyés par la différence entre les deux langues, soumis à une pression énorme. L’Ukrainien étant une langue phonétique, il est extrêmement difficile de discerner les sons corrects en Français. De plus, la majorité d’entre eux suivent des cours en ligne en Ukrainiens pour continuer leur éducation aussi efficacement qu’ils le peuvent, ajoutant aussi une contrainte et du travail supplémentaire.

Les dispositifs ainsi mis en place afin d’aider les exilés nécessitent la volonté de nombreux professeurs bénévoles, et comme l’explique l’animatrice de l’une de ces organisations “la motivation des élèves inscrits.” Seulement après avoir travaillé avec ces enfants et adolescents nous nous rendons compte de la difficulté rencontrée par ces élèves, non pas que l’envie d’enrichir leurs compétences soit évaporée mais plutôt étouffée par leurs préoccupations familiales. Leurs inquiétudes et autres angoisses se ressentent presque inévitablement dans l’investissement fourni, parfaitement justifiées mais paralysantes. Cette motivation est d’autant plus meurtrie lorsque l’apprentissage du Français devient pour certains un symbole d’abandon de leur origine, ou une forme de résignation face à la situation.

Dans de nombreuses écoles, il en découle un isolement de ces élèves accompagné d’un sentiment de solitude, comme l’explique un père durant une conférence menée par l’association destinée à mettre en évidence les difficultés rencontrées par les familles en exil. Il s’interroge notamment sur la raison de l’inexistence d’école Ukrainienne à Bruxelles, qui permettrait pourtant à beaucoup d’enfants de poursuivre leur scolarité comme dans leur pays d’origine. Là encore se pose la question de la nécessité réelle de ces écoles, et si l’objectif des familles est une intégration sociale temporaire ou permanente.